RCA : une histoire de conflits marquée par les opérations françaises

Alors que la République centrafricaine tente de sortir de la crise dans laquelle elle est empêtrée depuis 2013, une guerre civile se transformant peu à peu en conflit interconfessionnel, elle fait face à une situation humanitaire critique dans un contexte de violences armées encore présent. Si le processus de réconciliation nationale est enclenché, il n’est pas encore abouti et la transition politique perdure. Sur le plan sécuritaire enfin, le pays est le théâtre d’un déploiement militaire étranger, une pratique vieille de plusieurs décennies.

Une situation politique et sécuritaire instable

Lors de la crise politique de 2013 et de l’arrivée au pouvoir de la Seleka (« alliance » en sango, une coalition de plusieurs mouvements de rébellion du Nord, à dominante musulmane), la République centrafricaine (RCA) souffre déjà d’une histoire profondément instable et est  marqué par des années de coups d’Etat et par les mouvements de guérilla. En réaction à la prise de pouvoir de la Seleka et à ses exactions contre les populations centrafricaines chrétiennes, celles-ci contribuent à créer des milices d’autodéfense, les anti-balaka (« anti-machette » ou « anti-balles AK[-47] », selon les versions), qui s’en prennent aux civils musulmans. Ces violences entraînent alors un déploiement de troupes françaises sur le territoire centrafricain, bientôt suivies par une force de l’ONU.

Président auto-proclamé du pays suite au renversement de François Bozizé par la Seleka en mars 2013, Michel Djotodia démissionne en janvier 2014 sous la pression des chefs d’Etat voisins. Il est remplacé par l’ancienne maire de Bangui, Catherine Samba-Panza, chargée de trouver une solution à l’affrontement entre chrétiens et musulmans. En nommant un nouveau Premier ministre musulman, la nouvelle présidente tente d’amadouer les rebelles mais ceux-ci rejettent la nomination, arguant qu’ils n’avaient pas été consultés. La présidence est également affaiblie par des accusations de détournement de fonds.

Malgré les forces internationales, le pays continue à faire face à la violence armée, des bandes sévissant dans les régions reculées du pays. En effet, malgré un cessez-le-feu signé en juillet 2014 entre groupes chrétiens et musulmans, les combats n’ont jamais cessés, les deux courants n’étant pas unifiés et comportant chacun des factions radicales indépendantes. Une bonne partie du pays est donc toujours contrôlée par les groupes armés, et les violences visant la communauté musulmane continuent. En outre, la lecture confessionnelle du conflit pourrait être attisée par d’autres groupes armés à l’échelle régionale, en particulier Boko Haram[1], présent dans les États voisins du Tchad et du Nigéria.

Victime de près de vingt ans de mauvaise gouvernance structurelle, la RCA fait face aujourd’hui à une pauvreté omniprésente (62% de la population) qui se traduit par des indicateurs sociaux alarmants. A la fin de l’année 2013, on compte ainsi plus d’un millier de victimes. Par ailleurs, la part de déplacés dans la population se chiffre à un million de personnes, soit un quart des centrafricains qui ont quitté leurs habitations et sont contraints de fuir leur foyer[2]. La crise humanitaire est majeure et plus de deux millions de personnes auraient besoin d’une aide humanitaire[3].

Le processus de réconciliation nationale

Tenu du 4 au 11 mai 2015 dans la capitale centrafricaine, le Forum de réconciliation nationale de Bangui est l’aboutissement du processus entamé à Brazzaville en juillet 2014, et la signature du cessez-le-feu entre la Seleka et les anti-balaka. Réunissant près de 600 délégués, le Forum est censé sceller la réconciliation entre les deux factions ennemies et discuter des causes de la crise qui secoue le pays depuis 2013[4]. Plusieurs commissions sont ainsi réunies sur des sujets tels que la sécurité, la cohésion sociale ou la lutte contre l’impunité, aux seins de quatre grands ateliers : paix et sécurité, justice et réconciliation, gouvernance et développement économique et social[5].

Plusieurs fois repoussé pour des raisons pratiques d’organisation et en raison de polémiques sur la participation des représentants des diverses entités des groupes armés, le Forum de Bangui débouche surtout sur un nouveau décalage du calendrier électoral et un report des élections, présidentielle et législatives. C’est en effet ce que réclame l’instance, arguant de l’impréparation des autorités de transition et alors que la communauté internationale souhaite un retour à la normalité constitutionnelle[6].

Alors que le pays est géré par la présidente de transition Catherine Samba-Panza, depuis le début de l’année 2014, deux scrutins électoraux devait se tenir en principe durant l’été 2015, le mandat de Mme Panza arrivant à expiration en août. Ces élections sont vraisemblablement repoussées. La prorogation à titre exceptionnel de cette période de transition n’arrange pas le bon déroulement du processus démocratique et prolonge l’incertitude quant au devenir du pays. Si la présidente souhaite voir ces élections se dérouler « au plus tard d’ici la fin de l’année 2015 », les délégués du forum, n’ont quant à eux, donné aucune indication de dates. Le Forum permet enfin également d’arracher un nouvel accord de désarmement aux groupes armés, de plus en plus fragmentés.

La présence militaire française en République centrafricaine

Dans ce contexte de tensions encore présentes et de gouvernance de transition, la RCA est le théâtre d’un déploiement depuis la fin 2013 de forces militaires étrangères (françaises, africaines, européennes et internationales), dans le cadre d’une pratique vieille de plusieurs décennies, initiée par la France.

Participation française à des opérations en Centrafrique
Date Pays Opération
septembre 1979 – juin 1981 Centrafrique Barracuda
14 mars – 2 avril 1992 Centrafrique Bioforce
18 avril 1996 – 19 juin 1997 Centrafrique Almandin I/II
janvier 1997 – avril 1998 Centrafrique Bubale
20 juin 1997 – 15 avril 1998 Centrafrique Almandin III
15 avril 1998 – 28 février 1999 Centrafrique Minurca
octobre 2002 – décembre 2013 Centrafrique Boali
28 janvier 2008 – 15 mars 2009 Tchad – Centrafrique Eufor Tchad-RCA

En effet, l’instabilité politique chronique de la RCA depuis son indépendance et les intérêts de la France dans le pays font que dès l’indépendance, l’ancienne puissance coloniale engage ses troupes sur le territoire centrafricain. La colonie centrafricaine quitte ainsi l’Union française en 1960. Or, dès les lendemains de la décolonisation, la France signe une vingtaine d’accords de défense et de coopération avec ses anciennes colonies africaines. C’est en vertu de ces accords qu’elle intervient par la suite en Afrique[7].

Dans le contexte de la Guerre froide et de la décolonisation, l’Afrique rejoint la logique d’alliance bipolaire. Les jeunes pays africains sans véritables forces armées nationales doivent faire face aux enjeux du conflit Est-Ouest tandis que la France se charge d’assurer la défense des pays francophones car Paris souligne l’importance de sa présence sur le continent comme un moyen de s’opposer à l’influence soviétique[8]. Dans un premier temps, la France intervient donc pour rétablir la situation interne, apporter une opposition à des mouvements rebelles ou défendre le pays contre un agresseur étatique[9]. Les opérations françaises sont résolument offensives.

L’opération Barracuda voit intervenir les troupes françaises dans l’Empire Centrafricain de Bokassa 1er entre septembre 1979 et juin 1981. L’intérêt de la Libye et l’URSS pour la Centrafrique et l’attitude politique ambiguë de Bokassa constituent des premiers motifs d’inquiétude pour la France. Toutefois, une dégradation du climat social, l’émergence d’une opposition intérieure et extérieure et surtout la mise en cause personnelle de l’empereur à propos du massacre de lycéens et d’étudiants perpétré à Bangui au printemps 1979 vont contraindre la France à agir pour évincer le chef de l’Etat et appuyer l’opposition afin d’assurer la stabilité politique et la sécurité de la région et enfin écarter les menaces pesant sur les ressortissants français et l’échec d’une solution négociée.

Dans un premier temps, entre septembre et novembre 1979, Barracuda poursuit plusieurs objectifs : assurer la protection des ressortissants français et du nouveau gouvernement et soutenir les Forces armées centrafricaines (FACA) dans leur mission de maintien de l’ordre, en évitant toute implication directe. Au soir du 23 septembre, toute menace immédiate est écartée dans la capitale sans qu’il ait été fait usage des armes. La protection des 3 200 ressortissants français est assurée. Par ailleurs, aucune perte n’est à déplorer.

L’opération Barracuda évolue alors progressivement. A partir de mai 1980, les troupes sont partagées en deux sous-groupements à Bangui et Bouar et sont chargées d’aider à la reconstruction et l’instruction de l’armée centrafricaine afin que celles-ci soient d’un volume suffisant pour assurer la sécurité dans le pays. La zone d’action des forces françaises s’étend désormais à l’ensemble du pays afin d’en assurer la stabilité. Barracuda s’achève en juin 1981 et fait place aux Éléments français d’assistance opérationnelle (EFAO).

Ceux-ci ont plusieurs caractéristiques : ils assurent la montée en puissance des forces armées centrafricaines (FACA), leurs bases à Bangui et Bouar peuvent être utilisées dans le cadre du prépositionnement en Afrique et servent pour l’acculturation et l’entrainement des troupes mais aussi lors des interventions françaises dans la région[10]. Ils participent ainsi à un nombre impressionnant d’opérations en Afrique : Manta au Tchad puis Noroit, Volcan, Amaryllis et Turquoise au Rwanda, Requin au Gabon, Verdier au Togo et Bajoyer au Zaïre. En avril 1998, les EFAO quittent la RCA. En effet, sur décision présidentielle, il est établi que les forces françaises se recentrent sur le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Gabon, le Tchad et Djibouti.

La fin de la Guerre froide et la chute du mur de Berlin ouvrent une nouvelle époque pour les interventions françaises en Afrique. Avec la fin de la bipolarité, le continent perd de son importance stratégique et devient un enjeu d’influence secondaire pour les pays occidentaux[11]. La deuxième moitié des années 1990 est porteuse de changement pour l’armée française et par voie de conséquence pour ses interventions en Afrique. En 1996, le président Chirac décide de professionnaliser les corps d’armée et de suspendre le service national.

En parallèle au changement de l’orientation politique en Afrique, se produit une évolution de la doctrine qui se traduit par une diminution des effectifs militaires en Afrique et un certain désengagement français sur le continent. Les bases de Bouar et de Camp Béal sont ainsi fermées en RCA[12]. La France souhaite en effet changer ses modalités d’intervention sur le continent africain. Ce changement doctrinal s’effectue en accord à une évolution politique qui vise à respecter la légitimité des régimes élus et à n’intervenir qu’à travers un cadre validé par l’ONU.

La France s’engage ainsi dans les missions multilatérales en Afrique et participe à de nombreuses opérations de l’ONU telle la Minurca sur le territoire centrafricain (1997-1999). La crise du Darfour, à la frontière entre Tchad, RCA et Soudan entraîne également l’engagement de la France au sein d’une mission européenne : Eufor Tchad-RCA. La résolution n°1778 de septembre 2007 autorise ainsi le déploiement d’une force multidimensionnelle au Tchad et en République centrafricaine.

Après le départ des EFAO en 1998, les forces françaises reviennent en mars 2003, lorsque le président Chirac et le président-général François Bozizé, qui vient de prendre le pouvoir par un coup d’état, signent un accord aboutissant au déploiement de l’opération Boali dans le but de soutenir les FACA et la FOMUC (Force multinationale de la CEMAC[13]). La force est créée en octobre 2002 et regroupe 200 à 250 hommes. Accompagnés de coopérants, ils assurent des missions d’instruction et de conseils auprès des unités et des sous-officiers et officiers des FACA et auprès de certaines unités de la FOMUC[14], dans le cadre du programme français de coopération RECAMP[15].

Les relations entre la France et la RCA sont ensuite modifiées en avril 2010, lorsqu’une modification du partenariat de défense écarte l’intervention obligatoire de la France en cas d’ingérence extérieure. Ceci s’inscrit dans le cadre des modifications apportées après la renégociation des différents accords de Défense en Afrique suite au Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008[16].

En mars 2013, avec la prise de pouvoir par la Seleka, le détachement Boali se concentre sur la protection des ressortissants français et des points d’intérêt stratégiques français (emprises diplomatiques, points de regroupement des ressortissants français, lieux à haute valeur ajoutée pour la communauté française), sur le soutien logistique, administratif et technique de la Force africaine de stabilisation en Centrafrique[17] et sur la sécurisation de l’aéroport de M’Poko. Les renforts sont en partie désengagés en juin 2013, descendant les effectifs français à 400 hommes[18], avant le déploiement de l’opération Sangaris le 5 décembre 2013.

US Army Africa, "U.S. airlift Rwandans to Central African Republic", via Flickr, Creative Commons Attribution

US Army Africa, « U.S. airlift Rwandans to Central African Republic », via Flickr, Creative Commons Attribution

Le dispositif militaire actuel en République centrafricaine

Deux déploiements de troupes étrangères sont ainsi décidés en décembre 2013 suite à l’évolution critique de la situation : l’opération française Sangaris et la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (MISCA) de l’Union Africaine.

Si Boali avait pour objectif d’apporter un appui logistique aux forces armées centrafricaines, Sangaris est conçu pour affronter une situation de guerre civile avec comme objectif de s’interposer entre les factions ennemies. Faisant intervenir 1 600 hommes dans un premier temps, le dispositif monte à 2 000 hommes à partir de février 2014. De son côté, la MISCA est une opération de type de maintien de la paix et remplace le dispositif de la MICOPAX. Elle mobilise 4 500 hommes jusqu’en septembre 2014.

L’Union européenne déploie également une force en RCA avec l’opération Eufor RCA. Approuvée en janvier 2014, elle a pour but d’assurer la sécurisation de la capitale et de protéger les civils. Ses effectifs oscillent entre 700 et 1 000 hommes, d’avril 2014 à mars 2015 où elle est remplacée par la mission militaire européenne de conseil Eumam RCA, chargée d’apporter un appui au gouvernement sur la question de la restructuration des FACA. Enfin, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en Centrafrique (MINUSCA) prend le relais de la MISCA en septembre 2014 et fait intervenir 12 000 hommes issus de 10 Etats.

Ces différents dispositifs restent efficaces malgré le relatif apaisement de la situation politique. En effet, les oppositions sont encore vivaces et ces interventions étrangères sont mal perçues par les Centrafricains qui y voient des relents de colonialisme ou d’impérialisme. En conséquence, certains déploiements sont attaqués, à l’instar de celui de Kaga Bandoro où la base de l’ONU a essuyé des affrontements en avril 2015[19]. Sur la scène internationale, des scandales comme celui de l’accusation de viols et de pédophilie de plusieurs soldats français, tchadiens et équato-guinéens issus de Sangaris et de la MISCA, portent également préjudice au dispositif militaire présent en RCA.

Au cours de son histoire troublée, la République centrafricaine a donc connu plusieurs phases de conflits qui ont résulté, pour la plupart, sur le déploiement de forces militaires étrangères, le plus souvent françaises. Le conflit actuel ne déroge pas à la règle avec pas moins de cinq opérations lancées depuis la fin 2013. Malgré les accusations de néo-colonialisme, force est de constater la nécessité d’une présence militaire sur le théâtre centrafricain pour tendre à arrêter les affrontements et protéger les civils. Se pose désormais la question de savoir comment enrayer le cycle de la violence. Etablir un cessez-le-feu est inutile si les belligérants continuent à se haïr. La phase militaire n’est nécessaire mais n’est que le commencement d’un travail de fond qui doit d’abord porter sur les populations. Par ailleurs, alors que Catherine Samba-Panza doit être reçue cette semaine à l’Elysée, se pose pour la France la question financière des opérations militaires, prévues pour ne durer que peu de temps et finalement transformées en dispositif permanent.


[1] Fanny Rey, « Centrafrique : nouvelle stratégie pour une sortie de crise », http://lemonde.fr/, 06/01/2015

[2] Etude économique Coface, « République centrafricaine », http://www.coface.com

[3] « République Centrafricaine – Vue d’ensemble », http://www.banquemondiale.org/, 23/01/2014

[4] Pierre Pinto, « Centrafrique: le Forum de Bangui en dix questions », http://www.rfi.fr/, 25/04/2015

[5] Cyril Bensimon, « A Bangui, la fin troublée du Forum de réconciliation nationale », http://lemonde.fr/, 12/05/2015

[6] « Centrafrique : vers un report des élections ? », http://lemonde.fr/, 12/05/2015

[7] Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, La présence de la France dans une Afrique convoitée, Rapport d’information n°104, 29 octobre 2013, p. 257

[8] Pierre Pascallon, « Quelle évolution pour la politique de sécurité de la France en Afrique ? », La politique de sécurité de la France en Afrique, L’Harmattan, 2004, p. 15-16

[9] André Dulait, Robert Hue, Yves Pozzo di Borgo et Didier Boulaud, La gestion des crises en Afrique subsaharienne, Rapport d’information n° 450, 3 juillet 2006, p. 8

[10] Florent de Saint Victor, « 45 ans d’opérations militaires françaises en République centrafricaine », Lettre du Retex-Opérations n°8, 9 décembre 2013, p. 2

[11] Jean-Pierre Bat, Le syndrome Foccart, Gallimard, 2012, p. 507

[12] Pierre Pascallon, op. cit., p. 31

[13] Communauté économique et monétaire des États d’Afrique Centrale

[14] CDEF/DREX, Opérations en Afrique centrale : Epervier et Boali, Cahier du Retex, mars 2008, p. 37

[15] Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix

[16] Florent de Saint Victor, op. cit., p. 5

[17] Ancienne FOMUC, devenue en juillet 2008 la Mission de consolidation de la paix (MICOPAX)

[18] Ministère de la Défense, Dossier de référence Centrafrique, http://www.defense.gouv.fr/

[19] « Une base de l’ONU attaquée par des manifestants en Centrafrique », http://lemonde.fr/, 10/04/2015

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